L'intelligence du futur, à plusieurs

Pourquoi des dialogues multi-acteurs ?

Si le cheminement effectué par le développement durable dans la société est bien celui d'une meilleure reconnaissance d'interactions à examiner et de la complexité, alors des processus plus divers, avec nombre de parties prenantes, pour s’efforcer de mieux l’appréhender, sont logiques. Pour être à même de créer de l’intelligence collective, il faut accepter pleinement le principe d’une exploration collective des enjeux du siècle. Point de vue : Anne-Marie Ducroux, fondatrice de "au nom du vivant" et médiatrice de nombreux dialogues publics et privés  

" Une mutation collective… Tel est le défi du développement durable. Tous les éléments de cette mutation sont ou seront tôt ou tard en débat. Elle ne s’effectuera pas sur la base de certitudes et de savoirs établis. Mais probablement sur la reconnaissance d’un destin commun, sur de l’intelligence partagée jusqu’aux négociations collectives.

De plus, « savoir » tout n’est plus possible. D’un modèle de savoirs descendants, tout évolue vers des regards croisés et des savoirs pluriels, partagés, confrontés. Experts ou savoirs universels sont désormais introuvables. Aussi, les décideurs privés ou publics, il faut le reconnaître, sont face à une triple complexité : celle des questions et de leurs interactions, celle de l’évolution des positions d’acteurs, celles des expertises contradictoires, sans avoir été vraiment formés de surcroît aux nouveaux enjeux. Pour eux comme pour les citoyens, il faut désormais apprendre à décider en contexte incertain et souvent à plusieurs.

Le jeu d’acteurs est complètement modifié. Des acteurs nouveaux prennent part aux débats. Ils ont des choses très intéressantes à dire, des vigilances utiles, ils apportent aux débats des problématiques négligées ou mal envisagées, ils connectent des problématiques entre elles, ils font apparaître des incohérences, ils délivrent des témoignages des expériences voire des exigences qu’il est parfois vraiment stratégique de comprendre et de prendre positivement en compte.

Ainsi, de plus en plus, les règles de la vie commune se co-construisent. Et finalement il se révèle de plus en plus normal qu’une mutation à comprendre et entreprendre, s’initie à partir des échanges de points de vue multiples.

Une même question comporte souvent autant d’enjeux économiques, que sociaux et sanitaires, sociétaux et environnementaux, ou bien encore ceux d'une nouvelle gouvernance. Non seulement l’initiateur du dialogue perçoit mieux les différents aspects d’une question avec l’écoute de convictions, expertises, expériences de terrain qu’il ne possède pas forcément, mais les parties prenantes elles-mêmes découvrent d'autres facettes d’un enjeu qu’elles ne promeuvent parfois que sous un aspect, social pour les unes,  environnemental, pour les autres, par exemple.

Cette recherche de cohérence et de globalité, ces liens profonds ou connexions à recréer pour une plus grande efficacité des politiques menées et une re-légitimation mutuelle des acteurs d’une même société sont bien un objectif des nouvelles formes de gouvernances à inventer face aux bouleversements à venir du XXIe siècle.

Les nouveaux alchimistes, au XXIe siècle, ne tenteront pas de fabriquer de l’or, mais des dialogues….qui valent plus que de l’or. D’où la nécessité de façonner leurs creusets aujourd’hui, c’est-à-dire des moments et lieux, leurs outils, leurs règles et leurs pratiques…

Les nouveaux dialogues ne sont pas seulement un enjeu d’organisation ou de transformation des pratiques de communication. Plus essentiellement, ils traduisent en réalité une vision de la manière dont on souhaite « faire société » avec d’autres.

Ainsi le dialogue n’est pas par hasard une méthode du développement durable. Ce n’est plus une option, mais de plus en plus un faisceau d'obligations qui se renforce. C'est une nécessité  pour renforcer la convergence des actions et des efforts de chacun, celle des stratégies publiques et privées, pour organiser de nouvelles relations entre acteurs, abolir des clivages désuets et contribuer à la naissance de nouvelles relations entre acteurs, de nouvelles coopérations même, pour être à même de préparer collectivement des réponses inédites.  "

Anne-Marie Ducroux